Par Olivier Fourcadet, Professeur de Management à l’ESSEC.
Sa passion initiale pour les sciences cognitives l’a incité à explorer ses applications à la pédagogie et y trouver le moyen de faire progresser son enseignement.
Dans un premier billet intitulé “Les évaluations, un outil au service de la pédagogie ?” et publié sur ce blog le 13 février, je présentais les trois visées de l’évaluation des étudiants (certification des connaissances, orientation et formative). Les évaluations formatives permettent par un double processus de diagnostic et de conseils de mieux accompagner les étudiants dans l’appréhension d’une matière. La plupart des évaluations certificatrices sont habituellement réalisées à la fin du cours ou à la fin d’une séquence d’un cours. Les étudiants qui obtiennent une note satisfaisante ont démontré un degré de maîtrise satisfaisant de la matière au moment de l’examen… Mais, nous devons nous interroger sur la capacité des étudiants à maintenir ce degré de maîtrise au cours du temps. Les travaux sur la mémoire, issue de la psychologie cognitive, montrent que les capacités à se souvenir des connaissances ont tendance à diminuer avec le temps lorsque ces connaissances ne sont pas rappelées régulièrement. Quel est l’état de ces connaissances lorsque nos étudiants commencent leur vie professionnelle ? Une grande partie d’entre elles peuvent être qualifiées d’inertes. Elles sont bien enregistrées, mais le cerveau éprouve les pires difficultés pour les mobiliser au moment opportun. Les filières d’enseignement, à la condition que les cours d’approfondissement mobilisent à nouveau les connaissances, sont un des moyens de diminuer le taux de connaissances inertes.
S’agissant d’un cours, ce travail de remobilisation n’est pas toujours parfait, mais il peut être amélioré par la répétition des applications et leur diversité ou bien encore par la mise à disposition au début du cours d’une liste de questions d’examen. La diversité des applications permet de connecter un concept avec plusieurs champs d’application et la multitude des connexions facilite la bonne remémoration du concept. Les évaluations ne seraient pas aussi nécessaires si tous les étudiants effectuaient tous les exercices qui leur sont proposés avec le plus grand sérieux. Ce n’est malheureusement pas le cas et, même si c’était le cas, plusieurs dimensions formatives des évaluations très utiles ne seraient pas transmises aux étudiants. Si l’on doit établir une règle concernant les évaluations, elles doivent être de préférence fréquentes (tous les cours), revenir sur des connaissances présentées toutes les séances précédentes et couvrir un large spectre d’applications.
S’agissant de la composante formative, l’évaluation doit être en mesure de poser un constat sur les connaissances et les processus d’apprentissage, puis de proposer des pistes d’amélioration. Dans l’enseignement supérieur, le déroulé d’un cours est souvent rapide, les séances longues et les rencontres espacées. Si un étudiant remet lors de la séance n un travail portant sur un enseignement réalisé lors de la séance n-1, alors il obtiendra un feedback lors de la séance n+1, soit quinze jours après l’enseignement. Souvent, le cours a avancé de telle sorte que les étudiants sont en train d’apprendre d’autres concepts. La portée du feedback reste alors très limitée. Idéalement, les évaluations doivent être très proches dans le temps du moment de l’enseignement.
Peggy L. Maki a récemment publié un livre intitulé “Real-Time Student Assessment” et dont le sous-titre est: “Meeting the imperative for improved time to degree, closing the opportunity gap, and assuring student competencies for the 21st century needs”. Dans son ouvrage, elle présente plusieurs études de cas d’universités américaines qui ont mis en place des processus d’évaluation en temps réel de leurs étudiants. Elle souligne l’intérêt d’une telle approche pour moduler l’enseignement. Si la performance des étudiants inscrits dans un programme se dégrade, cette information est utile aux professeurs pour leur permettre d’ajuster le rythme de leur cours. Si la performance des étudiants est moins bonne sur certaines composantes de l’enseignement, le professeur peut alors décider de revenir sur les concepts que les étudiants maîtrisent le moins bien. Si un petit nombre d’étudiants présentent des difficultés, l’enseignement peut les identifier aisément et éventuellement leur proposer les moyens de remédier à ces difficultés. Pour tirer des avantages des évaluations, il est nécessaire de disposer d’un système d’information très au point.
Cette méthode d’évaluation en temps réel n’est pas dans nos habitudes. Mais, elle commence à percer, certes très lentement, dans le monde des entreprises sous une forme proche : le retour d’expérience. L’objectif consiste à tirer régulièrement des leçons des actions mises en oeuvre, parfois même à s’interroger sur les hypothèses et le processus de conception de l’action. Les moments consacrés au retour d’expérience peuvent être très substantiels. Par exemple, lors d’une simulation réalisée par une équipe du groupe Carrefour, le temps consacré au retour d’expérience a été de cinquante pour cent de celui consacré à l’exercice lui-même.
Dans un de mes cours de stratégie, je procède à des évaluations individuelles et anticipées, c’est-à-dire avant la discussion du cas en salle de classe. Cela présente l’avantage d’enrichir la discussion. Sur 10 séances, je procède à 6 évaluations. Les étudiants doivent en remettre 3, mais ils peuvent en réaliser jusqu’à 5. L’exercice est très focalisé sur un processus : la revue critique d’une décision stratégique – l’exercice de l’avocat du diable. Les étudiants doivent proposer une décision stratégique pour le cas d’entreprise, puis à l’aide d’un processus en 5 étapes, critiquer cette décision. L’objectif est de s’assurer que les conditions du succès lors de la mise en oeuvre de la décision stratégique choisie sont bien réunies. Dans cet exercice les étudiants évaluent l’une des conditions du succès. Ce dispositif me permet d’identifier plusieurs points :
- des étudiants qui sont à l’aise avec l’exercice. En général, après deux réalisations de qualité, je leur propose de basculer vers un autre type d’exercice.
- Des mises en oeuvre de moindre qualité. Elles permettent d’identifier une ou plusieurs insuffisances, parfois substantielles. Certaines insuffisances nécessitent des rappels de concepts, d’autres nécessitent une intervention plus “musclée”, en général sous la forme d’une séance de coaching personnalisée.
- L’ensemble des évaluations me permet d’adapter le débriefing du cas que je réalise habituellement en fin de séance et d’accroître la pertinence de mes interventions lors de la discussion du cas.
- Le moment de la remise des devoirs et le temps consacré au devoir, le nombre des corrections me donnent parfois des indications intéressantes (les étudiants composent en ligne et un tableau de bord m’apporte certaines informations). Ainsi, j’ai été en mesure d’identifier une population à risque – à savoir, les étudiants en apprentissage hebdomadaire – et de leur proposer des solutions, encore très imparfaites, pour pouvoir concilier leur activité en entreprise avec leurs études ou des ajustements du temps de remise.
Ce processus est très gourmand en temps. Je consacre entre 4h et 6h à la lecture et à l’annotation des devoirs.
Mon objectif actuel est d’améliorer le processus selon deux axes : accroître son efficacité – des constats et diagnostics plus précis et plus complets, des conseils plus pertinents – et surtout d’accroître son efficience. J’explore plusieurs pistes, en particulier en automatisant certains aspects du processus par l’intermédiaire de l’informatique.
Mon prochain billet sur le thème des évaluations formatives sera consacré au contenu des évaluations et de leur lien avec les diagnostics et les conseils. Stay tuned !